icotit picture Normandie Web : Trouville-sur-Mer
Région : Basse-Normandie || Département : Calvados || Canton : Trouville-sur-Mer || Habitants : 5645 || Auteur : Marie-Claude Jouvet - mcjo@ecn.ulaval.ca

Curiosités : Les planches, Plage, Aquarium, Corniche, Fête de la mer, Carnaval, Salon des antiquaires, Festival de jazz et du Nouveau Rire, Musée de Trouville, Office de tourisme

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Impressions sur Trouville-sur-Mer par Marie-Claude Jouvet

Trouville-sur-Mer

Je suis tombée un peu par hasard sur le nom en " surfant " sur internet et d'un seul coup, c'est une grande bouffée du large qui m'est entrée dans les narines. Je ferme les yeux et je sens le sable chaud sous mes pieds, le soleil est fort, les vagues déferlent presque tendrement, mais inlassablement. Au loin, on reconnaît le bruit d'un moteur de bateau de pêche et l'air sent bon la mer, sans toutefois l'odeur forte de varech qu'on a parfois en Bretagne. Mais quels clichés direz-vous ! Toutes les plages de Normandie sont ainsi, quand il fait beau bien sûr ! Alors, ouvrez les yeux et regardez la mer ! Tout au fond à droite, Le Havre. Attention, si on le voit trop bien, c'est mauvais signe pour la météo tandis que s'il est légèrement dans la brume, c'est gagné ! Il fera beau. Pivotez un peu vers la droite, au loin, sur la plage, les Roches noires. À marée basse, on allait y chercher les moules, accrochées sur les rochers ou sur les pieux de l'ancienne jetée. Pivotez encore et vous découvrirez les belles vieilles maisons peintes par Monet. Elles sont suivies, derrière vous, du Trouville Palace, ancien hôtel converti en appartements, majestueux, presque grandiose pour la petite-fille que j'étais dans les années 50. Vous terminerez presque votre cercle avec la jetée qui longe la Touque et qui s'avance fièrement dans la mer. Elle sépare Trouville de Deauville.

Tout le long de la plage, parfaitement alignés face à la mer, les parasols, bien ronds, dressés bien verticaux avec leurs toiles coupe-vent multicolores. Si ma mémoire est bonne, nous avions le 622, " juste entre les deux tennis ", précisait ma grand-mère à nos éventuels visiteurs. Tous les soirs, les parasols étaient repliés et attachés par les hommes de maintenance. J'entends encore Monsieur Albert crier de loin " Il est 7 h, on ferme ! ". Cachées derrière les parasols, les cabines, pour les estivants un peu plus fortunés.

À Trouville, les marées ont une assez forte amplitude et à marée basse, on découvre une succession de creux et de bancs de sable . Quand la mer remonte, elle encercle les bancs de sable, emplit les creux et gonfle les mares ainsi formées avant de tout recouvrir. Jusque dans les années 50, la plage était protégée par les maîtres nageurs, facilement identifiables avec leurs shorts noirs, leur veste de marin rouge et leur corne de cuivre accrochée au cou. Dès que la marée commençait à remonter, ils faisaient résonner leur corne et faisaient de grands signes aux retardataires afin qu'ils ne se fassent pas prendre sur les bancs de sable.

C'était ma plage. J'y ai passé tous mes étés pendant près de 15 ans. Mes grands-parents y avaient acheté une maison qui tombait en ruines : le 14 rue de la Cavée. Mon grand-père en avait fait un véritable bijou. Quand on arrivait par la rue des Bains, on voyait la maison plus haut dans la côte, en plein centre, grande et fière avec ses deux grands garages et ses volets verts et crème, sa grande terrasse toute garnie de géraniums. Quelle allure ! Nous débarquions là dès la fin des classes et nous ne repartions que pour la rentrée suivante. Presque trois mois chaque été ! J'y ai tant de souvenirs ! La pêche aux crevettes, à marée basse! Attention, pas avec un de ces petits filets de touriste vendus dans les magasins de souvenirs ! Mais plutôt avec un " ramenet "... Je dois vous avouer qu'il s'agit d'une appellation très locale et que je n'ai aucune idée de l'orthographe de ce mot. C'était un grand filet d'environ 2 mètres d'envergure, plus ou moins triangulaire, monté sur deux grandes perches de bois en forme de paire de ciseaux et munies de sabots à leur extrémité, qui permettaient de le pousser aisément sur le sable. C'était mon grand-père qui l'avait fabriqué et c'était également lui qui l'utilisait. Il marchait droit vers le large et il avait de l'eau parfois jusque sous les bras, puis il ramenait le filet plein de crevettes, de crabes et parfois même de plies. Il déversait le tout sur le sable mouillé et nous, ses petites-filles, nous étions chargées de trier... Il fallait garder seulement les grosses crevettes et remettre le menu fretin à la mer, si on ne voulait pas essuyer les reproches cuisants de la grand-mère. Le soir, c'est elle qui cuisinait le fruit de la pêche et quel régal : des crevettes toutes fumantes, accompagnées de tartines beurrées ! Mon grand-père, quant à lui, les préférait en rémoulade. Ne suivant que sa gourmandise, il pouvait passer plusieurs heures à en décortiquer un plein bol et ses gros doigts noueux de travailleur semblaient bien raides pour effectuer cette tâche si délicate.

Pour les plus paresseux ou les moins aventuriers, il y a toujours possibilité d'acheter les fruits de mer à la poissonnerie, sur les quais. Vous y entendrez sûrement Madame Dorange (ou ses petites filles maintenant) vous interpeller en criant : " La belle crevette ! Crevettes vivantes! ". Et si vous êtes seulement de passage, à peu près tous les restaurants du coin vous en proposeront.

Un autre souvenir très particulier : la pêche aux équilles. Ce sont de petits poissons argentés de 10 à 20 cm de long, très vifs et qui s'enfoncent à la vitesse de l'éclair dans le sable mouillé. Cette pêche se pratiquait seulement aux marées d'équinoxe, lorsque la marée est très forte et que la mer recule très loin. C'est dire que la pêche ne pouvait avoir lieu qu'à l'heure où la marée était la plus basse. J'ai une image merveilleuse dans la tête : il est presque cinq heures du matin, je marche dans les rues silencieuses et à peine éclairées de Trouville, tenant solidement la main de mon grand-père. Seuls nos pas résonnent. Je tiens solidement le petit sac de secours. De fait, j'étais chargée de préparer cette petite trousse d'urgence au cas où on trouverait des vives, poisson vénéneux qui vit dans le sable comme l'équille : une pince à linge pour attraper le petit poisson, du coton et de l'alcali (antidote du venin). Quelle responsabilité et quelle fierté je mettais à porter mon précieux fardeau! Nous retrouvions d'autres pêcheurs sur la plage et c'est un groupe d'environ 20 personnes qui franchissait la Touque car c'était de l'autre côté qu'on trouvait les équilles. La grande aventure ! Les hommes avaient de l'eau aux cuisses environ, mais le courant était fort. Ils formaient une chaîne et c'est en s'accrochant à eux et en passant de bras en bras que les petits jeunes dont je faisais partie faisaient la grande traversée. Puis commençait la pêche. Le grand-père creusait le sable tout imbibé d'eau et mon rôle était de saisir rapidement les équilles avant qu'elles ne se ré-enfoncent et disparaissent. Au retour, nous avions droit à une bonne friture arrosée de citron !

Nous faisions partie des enfants privilégiés inscrits au Club de gymnastique sur la plage. Tous les matins, les équipes de crevettes et d'hippocampes s'ébattaient, guidées par les deux moniteurs " Rouard et Brassard ", me souffle ma mémoire. Plusieurs fois durant l'été, on y organisait des événements particuliers : la grande parade du 14 juillet, les concours de châteaux de sable, etc.

Mais Trouville, c'est aussi le vent, la pluie, le drapeau rouge nous empêchant de nous baigner. C'était alors le temps d'aller se faire arroser par les déferlantes sur la promenade des Roches noires. Bien protégées par des cirés et de bonnes bottes, nous scrutions la mer du haut du muret et nous partions à la course si la vague se montrait menaçante. Bien souvent, nos calculs s'avéraient inexacts et nous étions fouettées par les embruns ! Les journées brumeuses, nous nous rendions dans une ferme de Pennedepie, à environ 10 km sur la route d'Honfleur, pour y acheter les légumes et les pommes. Nous prenions la route, moi sur mon vélo et mes s[oe]urs sur leurs trottinettes à pédale... sous la surveillance de notre grand-père, Mais quel courage il avait! " Restez bien à droite! Vous ne m'écoutez pas! C'est la dernière fois que je vous emmène! ", disait-il... chaque fois....

Trouville, ce sont les promenades du soir sur les fameuses planches, tout au long de la plage. On s'arrêtait à la Potinière pour apprécier quelques pièces de la harpiste accompagnée de Freddy Alberti et son orchestre ou on prenait une consommation au Topsy tout en se laissant emporter par les envolées du violoniste tzigane ou en riant des farces de l'animateur Marcel Hervé. Il nous arrivait d'aller jusqu'au casino où, envieuses et ébahies, nous regardions jouer les touristes au mini-golf.

Trouville, mes premiers pas de danse à l'école de ballet, mes premiers spectacles rock avec les tous premiers ébats de Johnny Halliday...mes premières vraies sorties de jeune fille en robe du soir, puis plus tard, mes premiers essais à la roulette, mes premiers émois de jeune femme, sur la plage, devant le feu d'artifice du 14 juillet.

J'habite le Canada depuis plus de 30 ans et je suis retournée à Trouville il y a quelque 10 ans. Même si la piscine s'est modernisée, même si la marina a pris de nouvelles dimensions, même s'il y a de nouvelles constructions, j'ai bien retrouvé le Trouville de mon enfance, avec sa simplicité, sa merveilleuse plage et ses parasols... La vie continue!

Marie-Claude Jouvet

Québec, Canada