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Histoires de vaches : 18e s. - 19e s.

Auteur : Jean-Marie Levesque - jmlevesque@ville-caen.fr

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Le taureau durham au XIXe s Avant le XVIIIe siècle en effet l'élevage bovin n'est qu'une activité secondaire pratiquée sur les landes et les jachères. Le boeuf est élevé pour sa force de travail mais remis à l'engraissement après quelques années de service selon les mêmes pratiques de vaine patûre. Tous les soins sont apportés à la polyculture vivrière. La Normandie n'est pas alors un pays de prairies mais une terre de labours.
Mais déjà au tournant des XVe et XVIe s., et de plus en plus au XVIIIe s. finissant, les données du problème ont commencé à changer dans certains terroirs normands, là où les terres basses et humides ne peuvent être labourées, là où de grandes seigneuries laïques ou ecclésiastiques ont entrepris de valoriser leurs exploitations, là où le sel, indispensable pour la conservation du beurre, est moins taxé, là où les ports ou la proximité des villes offrent de gros débouchés ; là surtout, comme à Isigny, où tous ces avantages sont réunis.
Les terres basses du Bessin et du Cotentin, du Pays d'Auge, du Pays de Bray sont les premières taches entièrement vertes sur la carte de l'agriculture normande. Le chemin de fer et la croissance urbaine du XIXe s. libèrent les possibilités de spécialisation de l'agriculture régionale par le transport des denrées et une demande plus soutenue. Les crises frumentaires de la fin du XIXe s. aidant, des années 1850 à 1920/30, la vague herbagère submerge la Normandie. Tout le monde veut des vaches, et les meilleures pour le lait et pour la viande. C'est la chance de la normande.

La vache normande idéale en 1857 Cette chance a été exploitée d'abord en surmontant la menace de la "bâtardise".
Dès la Monarchie de Juillet, et surtout sous le Second Empire, l'Etat prétend se mêler de l'élevage normand. Obnibulés par la nécessité d'augmenter la production de viande pour le marché urbain, et fascinés par les performances des éleveurs anglais, les agronomes du Ministère poussent au croisement des races bovines indigènes avec l'anglaise de Durham, bête à graisse aux performances quasi monstrueuses. Le réseau des Haras, et en particulier le Haras du Pin dans l'Orne, est mobilisé pour offrir aux éleveurs normands les services des reproducteurs durham. Les concours d'animaux des années 1860 à 1880 valorisent systématiquement les durhams purs ou croisés. L'éleveur normand est une cible privilégiée de cette propagande. Depuis longtemps les boeufs normands sont les rois du défilé du "Boeuf gras" à Paris où chaque année des animaux de près de deux tonnes (!) sont sacrifiés à la population en liesse. Les Normands se mettront au durham pour valoriser cette production, pense-t'on dans les bureaux du ministère.
Mais les éleveurs regimbent. Ils pensent que le croisement avec les durhams affaiblit les performances laitières qui enrichissent les régions d'élevage les plus dynamiques (Bessin, Bray). Surtout ils se sentent capables d'adapter au bétail indigène la leçon du développement du durham : la sélection.
Jusqu'au début du XXe s., les zootechniciens distinguent encore dans la race bovine normande des rameaux différenciés : l'augeronne, la brayonne, la cauchoise, la cotentine, etc. Chaque rameau représente une évolution autochtone d'un ensemble plus vaste, adapté aux besoins locaux et influencé par des apports de sang extérieur. Le Pays d'Auge ne particulier, vieux pays d'embouche, achète de longtemps ses veaux jusqu'en Charolais.
A la fin du XIXe s., les éleveurs normands entreprennent d'unifier ces rameaux progressivement recouverts par la Cotentine, considérée comme la meilleure et la plus anciennement sélectionnée des souches bovines normandes. Ce travail est fait de connivence entre des familles, véritables dynasties d'éleveurs, qui d'un bout à l'autre de la Normandie courent les marchés et les concours, et s'échangent les meilleurs reproducteurs. Qu'ils s'appellent Lavoinne ou Lange en Pays de Caux, Noël en Val de Saire, Hervieu dans l'Eure, et d'autres encore, une élite d'hommes et d'élevages se met en place à cette époque et influence - trop lentement - la masse du troupeau.
En 1883, les meilleurs ont été inscrits au premier livre des reproducteurs du Herd Book de la race bovine normande dont l'histoire complexe, faite de succès et d'échecs se continue aujourd'hui au sein de l'UPRA normande.

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