Normandie Web : Histoire |
Texte de Harry Dontje - dontje@gnv.fdt.net
Textes original (anglais) : http://gnv.fdt.net/~dontje/normandie/ndesig.html Conception et Design
Traduction de Bernard Dautrevaux - dautrevaux@chez.com
[Introduction] [Background] [Planning] [Conception et Design] [Construction] [Décoration] [Navire en service] [Destruction par le feu] [Sauvetage] [Conclusion et sources]
De nombreuses réunions entre la CGT et les chantiers navals seraient nécéssaires avant que des réponses ne soient données à toutes ces questions. C'est un fait constant dans la conception d'un navire qu'un grand nombre d'interrogations ne peuvent être réglées isolément. Par exemple la taille d'un bateau dépend de la capacité requise, mais aussi influence la vitesse. Paradoxalement la puissance nécéssaire pour atteindre une vitesse donnée est proportionellement plus faible si le bateau est plus long. Par exemple si un bateau de 130m a besoin de 50.000cv pour soutenir une vitesse donnée, un bateau de 300m pourra atteindre la même vitesse avec moind de 100.000cv.
Pratiquement dès le début, la longueur du Normandie fut prévue autour de 300m (1000 pieds). Cette dimension était inévitable pour deux raisons. La première était technique, cette taille autorisant la capacité en passagers et la vitesse désirées. La seconde, et sans doute la plus importante, était politique. On savait qu'en Angleterre la Cunard, ainsi que la White Star, préparaient des bateaux de 1000 pieds. Le Bremen et l'Europa étaient en cours de construction en Allemagne et étaient juste en dessous de cette taille. De nouveaux paquebots de grande taille étaient aussi en cours de préparation dans d'autres pays et la CGT ainsi que l egouvernement Français, voulaient surpasser tous leurs rivaux potentiels.
Pour commencer les chantiers Penhoët envisageaient la coque du Normandie comme une version agrandie de celle utilisée pour l'Ile de France. De l'autre côté de la Manche c'est exactement l'approche qui avait été retenue par les chantiers de Clydebank pour le Queen Mary, qui avait des lignes similaires à celles de son prédécesseur, l'Aquitania, populaire et réussi. A ce moment se produisit toutefois un évènement remarquable; un employé des usines automobiles Renault à Paris, Vladimir Yourkevitch, ayant entendu parler du projet de nouveau paquebot, décida qu'il était l'homme de la situation et qu'il devait concevoir ce navire.
Vladimir Yourkevitch était loin d'être un ouvrier ordinaire sur les chaines de montage. Il était né et avait fait ses études en Russie, où il avait été employé en tant qu'ingénieur naval aux chantiers de la Baltique à St Petersbourg. Comme tant d'autres, il fuit pendant la Révolution d'Octobre et s'était établi en France après la Première Guerre Mondiale. Alors qu'il était en Russie il avait conçu un nouveau type de coque qui allait être utilisée pour une classe de quatre croiseurs de bataille qui, à cause de la Révolution, n'avaient jamais été construits.Yourkevitch était convaincu que cette coque était la plus efficace jamais dessinée et qu'elle serait parfaite pour le nouveau bateau. Inévitablement, et cela se comprend, ses premières tentatives pour se faire entendre auprès des ingénieurs des chantiers Penhoët ne furent pas couronnés de succès. Après tout ils devaient avoir reçu de nombreuses lettres de génies en chambre, persuadés d'ètre plus compétents que la meilleure équipe d'architectes navals que la France pouvait aligner. Cependant Yourkevitch n'était pas le seul émigré Russe en France. Après avoir émigré lui aussi en France S. S. Pogulaiev, autrefois chef d'état major de la Flotte de la Mer Noire Russe, avait été acceuilli dans la marine militaire Françaiseet nommé Vice-Amiral. Yourkevitch et l'Amiral étaient de vieux amis et ce fut l'influence de Pogulaiev qui persuada finalement les ingénieurs des chantiers Penhoët de rencontrer Yourkevitch. Il faut reconnaître qu'ils l'entendirent. Bien que naturellement suspicieux à propos de cet étranger qui n'avait encore, piyr dire vrai, jamais vu construire un bateau conçu selon son dessin radicalement nouveau ils furent suffisemment impressionné par ses idées pour commander un modèle selon ses spécifications. Quand ils eurent comparé ce modèle avec celui construit selon leurs dessins dans le bassin des carènes, l'équipe des chantiers Penhoët fut surprise de constater que Yourkevitch avait raison. Sa coque était considérablement plus efficace que la meilleure de celles qu'eux mêmes, ou quiconque, ait jamais pu produire.
Qui avait-t'il de si révolutionnaire dans la coque de Yourkevitch? Bien que ce soit difficile à expliquer sans recourir à un langage trop technique, il y avait plusieurs différences entre les carènes traditionelles des paquebots et celle de Yourkevitch qui lui procuraient sa plus grande efficacité. Schematiquement, dans la nouvelle coque, les côtés de la coque vue de dessus étaient parallèles entre eux sur une beaucoup plus grande longueur que traditionellement. L'affineement progressif de la proue et de la poupe de navires comme le Queen Mary était remplacé par un rétrécissement beaucoup plus brutal à chaque extrémité. Le fond de la coque était également plat sur une beaucoup plus grande longueur, ce qui ne semble pas intéressant en cale sèche mais apportait un gain de stabilité important à flot. La coque de Yourkevitch avait de plus des formes complexes à la proue, la rendant très efficace pour couper dans les vagues et les écarter du navire, et à la poupe produisant un sillage très léger. Il y avait également beaucopu d'autres différences, plus ou moins importantes, avec les formes de coque alors habituelles, mais la plus visibles de ces différences était le bulbe à la base de la proue et dénommé "forefoot" (litérallement "pied avant") par les anglo-saxons. Le Normandie n'était pas le premier navire à utiliser cette innovation, utilisée de nos jours de façon quasiment systématique pour tous les de fort tonnage; des bulbes de proue étaient déjà présents sur le Bremen et l'Europa. On pourrait croire qu'une proue effilée couperait l'eau plus efficacement, mais en fait un bulbe de proue est meilleur. Pour simplifier on peut dire que le bulbe fait un plus gros trou dans l'eau et que l enavire pourra donc plus facilement s'y glisser.
Bien que Yourkevitch a été le principal concepteur de la coque, les ingénieurs et architectes des chantiers Penhoët étaient responsables d'une grande partie des détails ainsi que de tout le reste du bateau. La coque était si efficace qu'ils purent utiliser des machines moins puissantes que ce qui avait été prévu au départ, bien que le navire nécéssiterait quand même quelque 160.000cv pour atteindre la vitesse demandée par la CGT. On peut comparer avec le Queen Mary. Bien que de taille similaire au Normandir, le Queen Mary nécessitait des machines développant pas moins de 200.000cv pour maintenir la même vitesse. La décision suivante incombant aux ingénieurs fut celle des machines à utiliser pour le nouveau paquebot.
Les premiers bateaux à vapeur utilisaient des machines alternatives, comme celles utilisées sur les locomotives à vapeur. Avec l'émergence de plus grands paquebots au début du siècle, ces moteurs furent remplacés par des turbines à vapeur récemment mises au point, qui étaient plus puissantes, avaient un meilleur rendement et causaient moins de bruit et de vibrations. Le problème avec les turbines est qe pour augmenter leur puissance on ne dispose que de deux moyens: augmenter leur diamètre ou les faire tourner plus vite. La première otion est limitée par la place disponible dans la salle des machines du navire; la seconde est limitée car les hélices utilisées pour la propulsion d'un navire ne sont efficace qu'à une vitesse de rotation relativement faible. Des bateaux comme le Mauretania utilisaient des turbines en prise directe avec l'arbre d'hélice, mais déjà à cette époque le diamètre des turbines avait atteint sa limite pratique. La solution adoptéee par la plupart des concepteurs de machines était d'augmenter la vitesse des turbines et d'intercaler d'énormes engrenages réducteurs entre les turbines et les arbres d'hélice. C'est le système qui fut choisi pour le Queen Mary, par exemple, et il marche très bien. Il présente cependant certains inconvénients. En premier lieu les engrenages sont lourds, difficiles à fabriquer vues les faibles tolérances nécéssaires et donc coûteux. En second lieu tous les éléments du système de propulsion du navire doivent être soigneusement alignés, des turbines au train engrenages et à l'axe des hélices. Cela limite lee options utilisables par le concepteur pour disposer la salle des machines, spécialement dans de grands navires qui nécéssitent plusieurs jeux de machines. Finalement il y a le problème de faire reculer le navire, car les turbines ne peuvent tourner que dans un seul sens. Pour pouvoir faire reculer le navire des turbine auxilliaires, tournant en sens inverse des turbines principales, doivent pouvoir être couplées à un ou plusieurs des arbres d'hélice. Pour inverser la marche les turbines principales doivent dabord être arrètées, puis la vapeur peut être envoyée vers les turbines de marche arrière. Celles ci sont d'ordinaire plus petites que les turbines principales, limitant ainsi la puissance disponible en marche arrière. Or il ne faut pas oublier qu'un bateau n'a pas de freins. A part la friction de l'eau le seul moyen de ralentir ou d'arrèter un navire est d'inverser le sens de rotation de ses hélices. Lors de la conception du Normandie, une alternative à la propulsion à vapeur était disponible sous la forme de moteurs Diesel. Il devenait populaire pour de petis et moyens bateaux de voyageurs mais ne fut jamais envisagé pour le Normandie, car il n'avait pas encore été suffisemment développé pour produire la puissance nécéssaire pour propulser un navire de cette taille à la vitesse requise.
Les architectes du Normandie adoptèrent finalement un système de propulsion différent de ceux décrits ci-dessus, un système rarement utilisé auparavant, et même depuis, dans un paquebot. Dans ce système les turbines sont connectées à des générateurs d'électricité. Le courant produit par ces générateurs est alors dirigé vers des moteurs électriques couplés aux arbres d'hélice. Ce système de production a plusieurs avantages. D'abord il est beaucoup plus simple à disposer à l'intérieur du navire, les seuls composants nécéssitant un alignement précis étant les moteurs et les arbres d'hélice. Les turbo-générateurs à vapeur peuvent être placés là où cela est le plus pratique. Bien q'uen pratique ils sont placés près des moteurs ils n'ont pas besoin d'être alignés avec ceux-ci. Ensuite une machinerie turbo-électrique permet de disposer de toute la puissance en marche arrière, la seule manoeuvre nécéssaire étant d'inverser la polarité de la tension aux bornes des moteurs électriques qui peuvent tourner aussi efficacement dans les deux sens. De plus les changements de sens de la propulsion sont beaucoup plus simples et rapides à obtenir. Enfin l'industrie Française de l'époque avait moins d'expérience que les industries Anglaises ou Allemandes dans le forgeage et l'usinage de pièces métalliques de grande dimensions alors qu'elle avait un grand savoir faire et beaucoup d'expérience dans les machines électriques. Cela a pu les encourager à adopter cette nouvelle et peu usitée méthode de propulsion. Il y avait cependant les inévitables inconvénients. La propulsion turbo électrique a un moins bon rendement qu'un couplage mécanique, bien que de seulement deux à trois pourcents. Elle est également un peu plus lourde. Bien que les énormes engrenages réducteurs utilisés sur un bateu comme le Queen Mary pèsent de nombreuses tonnes chaque, un couplage turbo électrique utilise des générateurs et des moteurs eux aussi très lourds entre les turbines et les arbres d'hélice. En pratique ce système marche en fait très bien et ses avantages sont tels que de nombreux vaisseaux importants de l'US Navy l'utilisèrent durant la seconde guerre modiale et après.
Un dernier point de conception du navire vaut la peine d'être décrit. Les bateaux à vapeur, par nature, produisent de grandes quantités de gaz brùlés en sortie des chaudières nécéssaires pour produire la vapeur. Ces produits de combustion sont transportés des foyers vers les grandes cheminées donnant aux paquebots leur silhouette si caractéristique à travers de grands conduits au sommet des chaudières. Comme les cheminées sont placées dans l'axe du navire, la position la plus simple et la plus économique pour ces conduits est de les faire monter verticalement à travers tous les ponts du navire. Cela procura des casse-têtes sans fin aux architectes chargés des aménagements intérieurs des navires car, en fonction du nombre de cheminées, ils devaient concevoir leurs espaces autour de parfois quatre énormes colonnes montant juste au milieu du navire.
Albert Ballin, pour le second et le troisième bateaux du trio qu'il avait commandé avant la première guerre mondiale avait résolu ce problème. Au lieu de faire monter les conduits de fumée tout droit au centre du navire, il les divisa juste au dessu des chaudières et les fit monter le long des côtés du bateau (où leur encombrement était moins gènant et où chaque conduit était moitié moins grand q'un conduit unique placé dans l'axe) puis les réunissant à la base des cheminées. Cette solution coùteuse fut aussi adomptée par les concepteur du Normandie et fournit aux architectes de l'intérieur du navire une occasion unique de créer de larges vues dans la longueur du bateau. Ils purent ainsi créer ce qui fut sans doute l'espace le plus magnifique jamais installé dans un paquebot: la salle à manger du Normandie. Ils purent également créer sur le pont promenade une enfilade d'espaces communs pour la première classe qui permettait à quelqu'un se tenant sur la scène du théatre de regarder vers l'arrière du bateau à travers toutes ces salles j'usqu'à la mer et au ciel, quelque deux cents mètres plus loin.
Après l'examen des étapes de la construction du navire, nous nous intéresseront au travail des décorateurs de ses intérieurs. Quelque soit l'efficacité et l'élégance de la coque et de la machinerie du bateau (et je pense que le Normandir fut le plus beau paquebot de tous les temps), c'est avec le travail de ses décorateurs que les passagers eurent le plu sde contacts et dont ils se souvinrent le plus. C'est leur travail, plus que quoique ce soit d'autre, qui donne au Normandie une place à part parmis tous les autres paquebots à avoir jamais été construits.